L'insalubrité et le climat de violence qui règnent à la prison de Bordeaux peuvent justifier la réduction des peines imposées aux hommes qui y ont été incarcérés dans l'attente de leur procès, a tranché la Cour d'appel du Québec.

L'automne dernier, la juge Isabelle Rheault, de la Cour du Québec, concluait dans un jugement cinglant que Bordeaux «ne prend pas en considération le respect de la dignité humaine étant donné les conditions sanitaires et le climat de violence qui y prévalent».

Dans un jugement rendu le 27 août, la Cour d'appel rejette le pourvoi du directeur des poursuites pénales du Canada, qui plaidait que la juge Rheault avait erré - et que la célèbre prison du nord de Montréal n'était ni plus violente ni plus insalubre que les autres établissements de détention de la province.

Dans son jugement unanime, la Cour d'appel conclut que «la preuve soutient la présence d'un sérieux problème de propreté et de salubrité dans l'aile C», un secteur vétuste où sont incarcérés pendant de longs mois les hommes en attente de leur procès.

«Quant à la violence, les témoignages entendus soutiennent aisément la conclusion voulant qu'il s'agisse d'une réalité à laquelle les intimés ont été confrontés [...]", lit-on dans la décision.

«On ne peut plus nier la réalité: Bordeaux, c'est l'enfer, affirme Stéphane Lemaire, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec. Cette façon de faire de l'incarcération devrait être révolue. Il est impossible d'assurer une surveillance adéquate dans une aile où s'entassent 195 détenus.»

En Cour suprême?

Pour compenser leurs piètres conditions de détention provisoire, la juge Rheault a accordé un jour et demi pour chaque jour des 17 mois que deux trafiquants de drogue avaient passé dans l'aile C. Elle a ainsi réduit de 9 mois leurs peines respectives de 60 et 70 mois.

Le ministère public songe à porter l'affaire en Cour suprême. Il souhaite que la plus haute cour du pays établisse des lignes directrices objectives, sur lesquelles se baseraient les juges de première instance lorsqu'ils ont à trancher des cas semblables.

Le phénomène est relativement nouveau.

Auparavant, les tribunaux calculaient en double le temps passé en détention provisoire. Le gouvernement de Stephen Harper a mis fin à cette pratique. Depuis 2010, une journée en détention provisoire équivaut à une journée en prison.

Les nouvelles dispositions du Code criminel prévoient toutefois que «si les circonstances le justifient», le tribunal peut accorder 1,5 jour pour chaque journée en détention provisoire. C'est ainsi qu'à Montréal, de plus en plus d'avocats soutiennent que le climat malsain de Bordeaux justifie une réduction de peine pour leurs clients.

«Il faut donner à l'expression «si les circonstances le justifient» une portée large et libérale», estime la Cour d'appel. Il faut aussi reconnaître la «nature discrétionnaire du pouvoir des juges», un pouvoir dont ces derniers disposent toujours, malgré les nouvelles dispositions législatives établies par le gouvernement Harper.