Décontaminer. Reconstruire le centre-ville. Compenser les familles de Lac-Mégantic qui ont perdu un être cher. Les réclamations à l'égard de Montreal, Maine&Atlantic Railway (MMA) seront nombreuses. Mais les familles des victimes passeront probablement en dernier et pourraient même se buter à une caisse vide si MMA n'est pas suffisamment assurée, selon le professeur Daniel Gardner. Et le gouvernement du Québec ne veut pas dire s'il laissera les familles de victimes passer devant lui dans l'ordre des créanciers.

«C'est premier arrivé, premier servi, et les familles des victimes ont la preuve la plus difficile à faire. Elles vont passer en dernier [dans les créanciers]. C'est possible qu'il n'y ait plus d'argent quand leurs créances deviendront exigibles», dit Daniel Gardner, un professeur de droit civil à l'Université Laval qui a lu le contrat d'assurance pour 25 millions entre MMA et XL Group.

À l'inverse, c'est le gouvernement du Québec, qui paie actuellement pour décontaminer le site de Lac-Mégantic, qui aura les premières créances valides. «Ce sont les dommages les plus facilement chiffrables, car les gouvernements ont des factures», dit le professeur Gardner.

Québec accepterait-il de laisser passer les familles des victimes devant lui dans l'ordre des créanciers? Invité à commenter ce scénario, le cabinet du ministre de l'Environnement Yves-François Blanchet n'a pas répondu à La Presse hier.

Québec n'a pas précisé son évaluation des coûts de décontamination. Au 30 juillet dernier, la Ville de Lac-Mégantic avait déjà payé 7,5 millions, une somme qui sera assumée par Québec. En vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement, Québec peut poursuivre - en plus de MMA - le propriétaire du pétrole, World Fuel Services, pour payer la décontamination.

Les propriétaires de maisons et de commerces détruits par l'explosion, eux, devront vraisemblablement se limiter à poursuivre MMA. «La responsabilité [de World Fuel et Canadien Pacifique, qui a octroyé le contrat à MMA] est beaucoup plus difficile à prouver que celle de MMA», dit Geneviève Saumier, professeure de droit civil à l'Université McGill. «C'est un long shot parce qu'il faut prouver que ces deux autres entreprises ont commis une faute en confiant le contrat à MMA alors que MMA avait toutes les autorisations du fédéral pour opérer», dit Daniel Gardner.

Au moins 20 000$ par famille de victime

En situation financière précaire, MMA détient une assurance valide de 25 millions avec XL Group. Plus tôt cette semaine, MMA disait avoir un différend avec son assureur. L'assurance est toujours valide même si MMA devait déclarer faillite. Le PDG de MMA, Ed Burkhardt, a confirmé à Radio-Canada que son entreprise détenait d'autres polices d'assurance, sans dévoiler le montant total de couverture.

Les citoyens et commerces ayant subi des dommages matériels pourraient aussi passer devant les familles des victimes, car leurs dommages sont plus facilement chiffrables. S'ils sont assurés, leur compagnie d'assurance les remboursera et voudra ensuite se faire rembourser par les assurances de MMA. S'ils ne sont pas assurés ou s'ils sont assurés pour un montant inférieur à leurs dommages matériels, ils pourraient poursuivre MMA pour la différence.

Combien peuvent espérer les membres de la famille immédiate des victimes pour la perte d'un être cher? Le montant de départ: entre 20 000 et 25 000$, selon le professeur Gardner, qui a étudié la jurisprudence québécoise à cet égard. Pour un enfant en bas âge ou mineur qui perd un parent, la facture grimpe sensiblement en raison du rôle de pourvoyeur financier de ce parent.

Une requête de recours collectif a été déposée dans le dossier de Lac-Mégantic, tant pour les dommages matériels que moraux. Cette démarche judiciaire prendra des années. Daniel Gardner rappelle le dossier du déluge du Saguenay à l'été 1996, qui s'est réglé hors cour seulement en décembre 2004. «C'est bien d'aller chercher un jugement des années plus tard, mais qu'arrive-t-il si les assureurs de MMA ont déjà payé le plafond de leur couverture?», demande-t-il.

C'est pourquoi le professeur de l'Université Laval plaide pour l'instauration d'un régime de no fault (assurance sans égard à la responsabilité) dans le secteur ferroviaire comme en Nouvelle-Zélande et en Australie. Le Québec a un régime de no fault en assurance automobile, la SAAQ. «Les familles des victimes veulent tourner la page en recevant une somme raisonnable sans attendre des années, dit Daniel Gardner. C'est l'avantage du no fault, qui paie sans demander la cause de l'accident.»