Le gouvernement du Québec peut-il obliger le transporteur ferroviaire MMA et le propriétaire du pétrole déversé, World Fuel Services, à payer pour les dommages environnementaux de Lac-Mégantic? Oui, répondent quatre experts en droit consultés par La Presse. Mais le bras de fer juridique qui s'engage entre Québec et World Fuel Services permettra de tester véritablement pour la première fois ce pouvoir que Québec s'est octroyé en 1978.

Le gouvernement du Québec a émis lundi une ordonnance demandant à Montreal, Maine&Atlantic Railway (MMA) et World Fuel Services de payer pour les dommages environnementaux. World Fuel Services a toutefois «de sérieuses objections» sur la validité de cette ordonnance rendue en vertu de l'article 114.1 de la Loi sur la qualité de l'environnement du Québec, qui prévoit la responsabilité tant du propriétaire que de la personne ayant le contrôle des matières en question. Au nombre de ses arguments, World Fuel Services a révélé hier ne pas avoir conclu de contrat avec MMA mais avec Canadien Pacifique pour le transport de son pétrole.

Obligation

«Depuis 1978, je n'ai jamais vu de cas de jurisprudence [impliquant cet article de loi], dit Daniel Gardner, professeur en droit civil à l'Université Laval. C'est probablement pour ça que l'entreprise World Fuel Services a fait le saut. Mais le droit québécois prévoit une obligation de diligence raisonnable pour le propriétaire de matières dangereuses. Une obligation dont l'entreprise ne peut s'acquitter seulement en sous-contractant au coût le moins élevé.»

Sa collègue Paule Halley, spécialiste en droit de l'environnement à l'Université Laval, n'a pas non plus souvenir d'une entreprise ayant contesté l'article 114.1 de la loi québécoise. World Fuel Services montre toutefois des signes de vouloir être la première à le faire: en plus de ne pas avoir répondu convenablement à la mise en demeure, selon Québec, l'entreprise américaine a précisé hier avoir conclu son contrat de transport avec Canadien Pacifique et non avec MMA, qui était en charge du pétrole au moment de l'accident ferroviaire ayant fait 47 morts à Lac-Mégantic dans la nuit du 6 juillet.

Ce dernier détail, révélé hier par World Fuel Services, ne devrait toutefois rien changer à la cause, selon la professeure Paule Halley. «Comme la situation a été initiée par le propriétaire des matières dangereuses, ce n'est pas inusité que ce propriétaire ait une responsabilité légale», dit-elle.

Professeur de droit constitutionnel à l'Université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau ne doute pas non plus de la validité de l'ordonnance de Québec. «L'ordonnance doit être raisonnable en fonction de l'objectif de la loi, dit-il. Dans ce cas-ci, on parle d'une ordonnance pour protéger l'environnement en vertu d'une loi pour protéger l'environnement. Je ne vois pas de cas classique où une ordonnance de la sorte a été contestée avec succès devant les tribunaux.»

«Des ordonnances similaires ont été maintenues par les tribunaux en Ontario, dit Richard Janda, professeur de droit de l'environnement à l'Université McGill. La seule inconnue dans ce dossier-ci, c'est d'être certain que World Fuel est resté propriétaire du contrat en vertu de son contrat de transport.»

MMA en difficulté

La question de la responsabilité légale de World Fuel Services est d'autant plus importante que le transporteur ferroviaire MMA est dans une situation financière précaire. À Québec, toutefois, on s'active devant la perspective d'une faillite de MMA. «Le gouvernement veille présentement à instaurer avec la Ville de Lac-Mégantic des mécanismes solides qui assureront la suite des opérations et leur paiement en cas de défaut des entreprises», a fait savoir le ministre de l'Environnement, Yves-François Blanchet.

MMA détiendrait une assurance couvrant au moins 25 millions de dollars, mais aurait actuellement un différend avec son assureur. Le PDG de MMA, Edward Burkhardt, a refusé nos demandes d'entrevue, hier.

La Ville de Lac-Mégantic a dépensé 7,5 millions en date du 30 juillet, une somme qui sera assumée par Québec. Et Ottawa? «Nous sommes en support au gouvernement du Québec, qui est le premier responsable sur le terrain, et nous avons un plan de 60 millions pour supporter Lac-Mégantic», dit le ministre fédéral Denis Lebel.