Sept jours se sont écoulés depuis la tragédie qui semble si récente à ceux qui l'ont vécue. Sept jours bien insuffisants pour répondre à toutes les questions qui se posent et qui resteront en suspens pendant encore des mois.

Bruits anormaux

«Tac-tac-tac-tac-tac», puis «boum!», et «boum!» encore. Il y a une semaine jour pour jour, le résidant de Lac-Mégantic Patrick Durand se faisait réveiller dans la nuit par des bruits anormaux. Un train qui roule trop vite. L'absence de sirène annonçant l'arrivée du convoi. Les explosions. Patrick Durand n'a rien vu, mais il a tout entendu. Pour ce non-voyant comme pour les autres Méganticois, c'était le début d'une période de grande noirceur. Une semaine plus tard, 28 corps ont été extirpés du centre-ville, rebaptisé «la zone rouge». Huit victimes ont été identifiées par le Bureau du coroner, et 22 personnes manquant toujours à l'appel sont désormais considérées comme décédées.

«Je l'entends encore»

Comme les émanations toxiques, les souvenirs du désastre ne s'estompent pas rapidement. «Tout ce qui s'est passé, je l'entends encore», confie Patrick Durand. «Les hélicoptères, les voitures qui se promènent, les camions. Encore aujourd'hui, quand je marche, c'est effrayant. C'est quelque chose. C'est le chambardement total. J'ai de la difficulté à me concentrer sur mon trajet quand je sors.» Pour Gilles Fluet, «c'est comme se réveiller d'un mauvais rêve et se sentir encore tout à l'envers». «Ça pourrait faire juste cinq heures, et j'aurais la même sensation», illustre-t-il.

Des sols gorgés de pétrole

Gilles Fluet non plus n'a pas vu le train de la mort. Il a traversé les rails du chemin de fer en pleine nuit, en rentrant du Musi-Café avec des amis. Vingt mètres plus loin, il a compris qu'il venait d'échapper à un convoi complètement fou, celui-là même qui a défiguré Lac-Mégantic, encore magnifique autour de son centre-ville rempli de désolation. «J'ai entendu le bruit du train qui arrivait à la vitesse d'une voiture sur l'autoroute», dit Gilles Fluet. «J'ai dit à mes amis de courir.» La femme de son ami a été soufflée par l'explosion, mais elle s'en est tirée. Gilles Fluet a cogné aux portes des résidants du coin pour les tirer du sommeil, malheureusement pour les plonger dans un cauchemar encore plus noir. Sur place, les résidants comme les autorités vivent des moments difficiles. Si 50 % du territoire dévasté a été couvert par les policiers qui le ratissent, la partie la plus difficile reste à faire. «Le secteur qu'on fouillait était trop contaminé et on a dû revoir notre stratégie», a expliqué l'inspecteur de la Sûreté du Québec Marcel Forget. «Le travail est très difficile, les sols sont souillés à certains endroits et on a dû déplacer des terrains de recherche. Nos agents travaillent avec des équipements spécialisés. Ils ont chaud, ils sont exténués, mais ils continuent.» L'utilisation d'un système de ventilation est à présent envisagée, le gaz toxique qu'est le benzène rendant les opérations dangereuses quand les autorités déplacent de lourdes pièces, découvrant des sols gorgés de pétrole.

Des mois sans réponses

Derrière Lac-Mégantic, c'est le Québec en entier qui se pose des questions. Les freins étaient-ils actionnés sur le train? À défaut de fournir les réponses tant attendues, le Bureau de la sécurité des transports (BST) a annoncé vendredi que les statistiques de chacune des sociétés ferroviaires étaient désormais publiques. Les accidents et autres données sur chacune des entreprises oeuvrant au pays pourront être consultés sur le web. «Nous avons pris cette décision en raison de l'important nombre de demandes que nous avons reçues», a expliqué dans un point de presse Jean Laporte, chef des opérations au BST. Les statistiques étaient auparavant consolidées; elles sont à présent disponibles pour chacune des compagnies. Encore à la première étape de son enquête - qui sera complète et indépendante, assure-t-il -, le BST a peu de réponses relativement aux circonstances entourant le tragique accident. La photométrie est actuellement utilisée pour éclaircir le mystère du train de la mort, et un balayage laser 3D aura lieu sous peu. Une fois le travail de terrain terminé (celui-ci pourrait prendre des mois), le BST passera à l'analyse, puis à la rédaction d'un rapport. Le processus sera long, avance prudemment le BST. Lac-Mégantic en a donc peut-être pour des mois à rester plongé dans l'obscurité.