En mai dernier, à New York, le premier ministre du Canada, Stephen Harper, a mis en garde le Council on Foreign Relations: si le projet d'oléoduc Keystone XL est bloqué par le gouvernement américain, davantage de pétrole serait transporté par train. Un moyen de transport qui présente un «plus grand défi environnemental», a-t-il prévenu.

À la suite de la tragédie de Lac-Mégantic, l'argument sera sans doute réutilisé, entre autres pour le projet d'oléoduc 9B d'Enbridge. Celui-ci doit acheminer du pétrole lourd de l'Ouest canadien vers les raffineries québécoises, et doit être soumis au préalable à un examen environnemental d'Ottawa et de Québec. Mais ce serait «malhonnête», selon Steven Guilbeault, d'Équiterre, et Patrick Bonin, de Greenpeace.

Ils concèdent qu'on dénombre trois fois moins d'incidents avec les oléoducs qu'avec les trains chargés de pétrole. M. Bonin juge toutefois »simpliste« de réduire le débat au nombre d'accidents. «Quand il y a un accident avec un oléoduc, la quantité de pétrole déversé est beaucoup plus grande, notamment parce que la fuite n'est pas automatiquement détectée», rappelle-t-il.

Selon l'Association of American Railroads, au cours des 10 dernières années aux États-Unis, les fuites de pétrole transporté par train totalisaient 2268 barils. Pour l'oléoduc, le volume est 210 fois plus important: il s'élève à 474 441 barils.

Il faut aussi tenir compte du type de pétrole. Le «train de la mort» à Lac-Mégantic transportait du pétrole léger, considéré comme une matière dangereuse par le fédéral, car il peut exploser à température ambiante. Le danger de mort en cas d'accident est donc plus élevé. Le pétrole lourd, comme celui que transporterait l'oléoduc 9B d'Enbridge, n'est pas considéré comme une matière dangereuse. Toutefois, à la différence du pétrole léger, il coule dans l'eau. En cas de fuite, il est beaucoup plus difficile à nettoyer. Les dégâts environnementaux sont donc plus importants. On l'a constaté dans la rivière Kalamazoo, au Michigan, où s'est déroulé le plus important déversement pétrolier terrestre de l'histoire américaine. Trois ans plus tard, le nettoyage n'est pas terminé.

L'infrastructure

Autre élément à considérer quand on compare les risques: l'infrastructure. «Par exemple, pour le projet Enbridge 9B, on utilise un oléoduc vieux de 40 ans, on inverse le flux et on transporte un pétrole issu des sables bitumineux avec des additifs. Bref, on change la vocation de l'oléoduc, ce qui augmente le risque. Et il y a le trajet utilisé, qui traverse des zones densément peuplées et des écosystèmes fragiles comme les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent», soutient M. Bonin.

Une opposition trompeuse

À cause des difficultés de comparaison, Andrew Swift, avocat et spécialiste des pipelines au sein du National Resources Defense Council aux États-Unis, juge qu'il est trompeur d'opposer le rail et les pipelines. «Une chose est certaine, cet incident n'a pas rendu les pipelines plus sécuritaires tout d'un coup, dit-il. Il y a eu un nombre important de bris de pipelines au Canada et aux États-Unis ces derniers temps. Ce n'est pas une question de savoir quel système va avoir les bris les plus catastrophiques. Il faut plutôt réaliser quels sont les vrais coûts de notre infra-structure de transport de pétrole brut et reconnaître qu'il y a de sérieux problèmes avec le système dans son ensemble. »