Les municipalités traversées par des voies ferrées ne savent pas ce que les entreprises ferroviaires transportent et ne disposent d'aucun levier, légal ou autre, pour connaître le moment de leur passage ou la nature des matières dangereuses qui circulent sous le nez de leurs citoyens.

Selon une consultante en politique publique qui a travaillé à la dernière modernisation du règlement fédéral sur le transport des matières dangereuses (TMD), Mme Liane Benoit, les entreprises ferroviaires peuvent transporter ce qu'elles veulent, quand elles le veulent et où elles le veulent, sans obligation de divulgation préalable à qui que ce soit.

«Si les produits qu'elles transportent sont régis par le TMD, elles ont l'obligation d'afficher la nature du produit sur chaque wagon, précise Mme Benoit. Mais c'est une bien maigre consolation si quelque chose tourne mal», comme le démontre avec éloquence la catastrophe qui a frappé Lac-Mégantic, le week-end dernier.

«En ce sens, il est vrai que nous n'avons aucune possibilité d'agir sur le plan de la prévention» des sinistres, a reconnu hier Louise Bradette, directrice générale du Centre de sécurité civile de la Ville de Montréal, lors d'un entretien avec La Presse.

Mme Bradette a indiqué hier que cette absence d'informations n'empêche pas la Ville d'intervenir d'une manière efficace en cas de déversement ou de sinistres, ni d'obtenir la collaboration des entreprises lors des interventions d'urgence.

Elle a toutefois indiqué que la mise à l'écart des autorités municipales sur des questions qui touchent à la sécurité publique peut expliquer les réserves exprimées par la Ville de Montréal au sujet du projet d'inversion de l'oléoduc d'Enbridge, par exemple. Montréal ne s'oppose pas à ce projet de pipeline, mais a exigé un encadrement gouvernemental très strict avant que cette compagnie puisse importer du pétrole de l'Alberta jusque dans la région de Montréal.

Deux risques, deux mesures

Le fait que la Ville de Montréal soit tenue dans l'ignorance du passage de longs convois d'essence, de pétrole brut, de chlore ou d'acide sulfurique qui traversent des quartiers parmi les plus densément peuplés de l'île met en évidence une étrange distinction entre les sources «fixes» et «mobiles» de risque environnemental.

Depuis deux ans, explique Mme Bradette, la Ville de Montréal a entrepris de rencontrer toutes les entreprises de son territoire assujetties au Règlement sur les urgences environnementales (RUE) afin de mieux connaître les risques qu'elles peuvent représenter, et d'arrimer les plans d'intervention de ces entreprises et ceux de la sécurité civile.

Le règlement fédéral oblige les entreprises qui utilisent ou qui produisent certains produits toxiques ou explosifs à déclarer ces usages, de même que les concentrations utilisées ou produites dans leurs procédés industriels. Il oblige aussi ces entreprises à se doter de plans d'intervention d'urgence en cas de déversement, de fuites ou de sinistre (voir l'autre article à ce sujet).

Cette démarche de prévention initiée par la Ville auprès des «sources fixes» de risques potentiels n'est pas possible avec les «sources mobiles» que sont les entreprises de transport, puisque celles-ci ne partagent pas d'informations avec les villes.

«Il y a eu des pressions, dans le passé, sur des entreprises ferroviaires pour qu'elles communiquent davantage avec les villes et les communautés qu'elles traversent, dit Mme Benoit. Ce serait utile afin de mettre à jour les plans d'urgence des municipalités et de tisser des liens entre les intervenants du privé et ceux du domaine public.»

Ressac

Ces efforts n'ont toutefois pas été couronnés de succès, dans un contexte où les compagnies de transport «sont d'abord motivées par les profits et la réduction des coûts d'acheminement de leurs convois de matières dangereuses».

«Je ne serais pas étonnée que la catastrophe de Lac-Mégantic provoque un ressac dans l'opinion publique envers les entreprises ferroviaires, ajoute Mme Benoit. Et on doit aussi s'attendre à ce que les promoteurs d'oléoduc, comme Enbridge par exemple, tentent de tirer profit de cette situation», en faisant valoir l'avantage sécuritaire de leur moyen de transport du pétrole au détriment du train.

Mme Benoit n'est pas sûre que le public en sorte gagnant. «Quand un train déraille, affirme-t-elle, les résultats sont parfois catastrophiques, comme on vient de le voir. Les oléoducs explosent rarement, mais ils sont construits près des aquifères. Ils peuvent contaminer les nappes phréatiques, les sources d'eau potable, et empoisonner les gens au benzène.»

Le choix fondamental, selon elle, «ce serait de savoir si on souhaite vraiment vivre d'une économie qui repose sur le pétrole. Si c'est ça que nous voulons, nous devrons accepter d'en payer le prix. Selon moi, choisir entre les trains ou les pipelines, c'est comme de choisir le moins pire de deux maux.»