Yvon Ricard ne se souvient pas de cette dernière chanson qu'il a chantée en duo avec GuyBolduc au Musi-Café.

Ce qu'il sait, c'est que vers 1h, une quarantaine de personnes qui chantaient et dansaient étaient devant les deux chansonniers. Leurs amis.

Un peu après 1h, les deux chansonniers ont pris une pause. Yvon Ricard est allé griller une cigarette sur la terrasse. Il s'en est tiré indemne. Guy Bolduc est allé se chercher une bière au bar. Il figure parmi les personnes disparues.

«Dire que c'est cette cigarette qui m'a sauvé la vie, raconte Yvon Ricard, joint à Québec, où il habite. Il aurait suffi que la chanson soit juste un peu plus longue...»

«Ça aura été la dernière fois que j'aurai chanté en duo avec mon ami Guy...», enchaîne-t-il, la voix brisée.

De la terrasse, Yvon Ricard a vu le train passer à une vitesse folle. Puis, en l'espace de quelques secondes, cette boule de feu, derrière le Musi-Café.

«J'ai pris mes jambes à mon cou. Il faisait une chaleur torride, je courais, je courais... Comme des idiots, avec quatre ou cinq autres personnes, on longeait les wagons, sans jamais penser que le train pouvait exploser. Et tout en courant, je me demandais où était ma conjointe, qui venait de partir quelques minutes plus tôt du Musi-Café. Était-elle vraiment partie? S'était-elle attardée quelques minutes de plus, à discuter avec des amis dans le stationnement?

«On est arrivés au lac, en se disant qu'au besoin, on y sauterait. Mais rendu là, je me suis dit que je ne pouvais pas rester là et laisser les amis du Musi-Café derrière. J'ai tenté de rebrousser chemin. Impossible. J'ai à peine pu faire quelques mètres.»

«Cela faisait 22 ans que je chantais à Lac-Mégantic. Le Musi-Café, c'est ma gang. J'y connais plein de monde.»

Ève Dubé, la conjointe d'Yvon Ricard, était bel et bien rentrée dormir chez sa mère. «Ce n'était pas notre tour, dit cette mère de deux enfants. Il aurait suffi d'une bière de plus...»

Et le Musi-Café, lorsqu'on parle aux gens de la place, c'est bien l'endroit où l'on avait envie de s'attarder.

Il faisait partie du paysage depuis des années. Au cours des derniers mois, des rénovations majeures lui avaient donné un nouveau souffle.

Le Musi-Café faisait la fierté de son propriétaire, Yannick Gagné.

«C'était le centre névralgique de la ville depuis quelques années, raconte-t-il, visiblement sous le choc. On avait mis le paquet pour le rénover et il était très populaire.»

Ce soir-là plus que jamais. Deux anniversaires y étaient célébrés, et c'était indéniablement une grosse soirée, avec les deux chansonniers les plus populaires de la région au programme.

Endroit couru

On venait pour y manger ou pour y déguster une bière importée.

La voie ferrée faisait partie du paysage, et le passage régulier des trains ne rebutait aucun client.

Sur une photo datée du 9 juin, tirée de la page Facebook du bar, on voit le personnel du Musi-Café. Des jeunes filles d'à peine 20 ans, souriantes, toutes de noir vêtues, visiblement heureuses de travailler dans cette quasi-institution de Lac-Mégantic.

Sur les réseaux sociaux, une bonne partie de la planète musique est ébranlée par la tragédie. Parce que bon nombre de musiciens ont déjà chanté ou «jammé» avec les deux chansonniers, parce qu'une participante de Star Académie est portée disparue.

Parce que personne n'aurait cru que le Musi-Café, ce serait un peu notre GroundZero à nous.

- Avec David Santerre et Hugo Meunier