C'était la fin de l'espoir, dimanche, pour les résidants de Lac-Mégantic: près d'une cinquantaine des leurs pourraient avoir été tués dans le centre-ville de la municipalité, qui ressemble à une véritable «scène de guerre».

L'expression est celle du premier ministre Stephen Harper. Il s'est approché en après-midi de la carcasse du train-pétrolier qui a déraillé avant d'exploser, dans la nuit de vendredi à samedi, rasant tout un quartier.

Quelques heures auparavant, la Sûreté du Québec (SQ) avait rendu publique, pour la première fois, une estimation du nombre de personnes manquant toujours à l'appel. Une quarantaine de personnes sont disparues, en plus des cinq corps retrouvés par les policiers.

«Je peux vous dire que nous avons rencontré une grande quantité de gens qui avaient rapporté des personnes manquantes, a déclaré le lieutenant Michel Brunet, de la SQ. À ce stade-ci, je peux avancer le fait qu'il y a environ une quarantaine - plus ou moins 40 - de personnes qui sont considérées comme étant manquantes.»

Plus tard dans la journée, un de ses collègues a précisé que ce bilan «a monté, a descendu» au cours de l'après-midi de dimanche, mais qu'il demeurait valide. En ville, ce bilan était contesté par plusieurs citoyens, qui l'estimaient beaucoup trop conservateur.

La mairesse de Lac-Mégantic, Colette Roy-Laroche, était dévastée d'apprendre que tant de ses concitoyens manquaient à l'appel. «C'est inimaginable de penser qu'autant de personnes de notre communauté [sont disparues]. C'est une désolation, une perte énorme, a-t-elle déploré, les lèvres tremblantes. Ça nous affecte énormément.»

Identification complexe

Le bureau du coroner, responsable de faire la lumière sur toutes les morts non naturelles dans la province, a déployé sa «structure de gestion de décès multiples» - une mesure exceptionnelle. L'organisation a aussi sorti de ses laboratoires quelques scientifiques afin de faciliter l'identification.

«Considérant l'intensité de l'incendie, on peut déduire que les corps sont dans un état de brûlure avancée, a indiqué Geneviève Guilbault, porte-parole du bureau. Évidemment, ça complexifie l'identification, mais tous les moyens nécessaires et à notre disposition vont être utilisés pour en venir à bout.»

On a ainsi demandé à plusieurs résidants des échantillons d'ADN de leurs proches disparus afin de faciliter le travail des enquêteurs.

Aucun détail sur les circonstances de la découverte de cinq corps n'a toutefois été rendu public.

«Nos enquêteurs sont toujours sur le site à faire des recherches, a affirmé Benoit Richard, porte-parole de la SQ, vers 19h. Mais il y a encore une bonne partie de la scène qui n'est pas accessible, puisque les pompiers travaillent toujours à cet endroit-là et que les pompiers ne l'ont pas encore sécurisée.»

Quelques dizaines de minutes plus tôt, le porte-parole des pompiers de Lac-Mégantic avait annoncé que les flammes qui continuaient de brûler depuis 40 heures dans les wagons-citernes avaient été complètement éteintes par ses hommes.

Des «points chauds» demeurent toutefois. Un autre intervenant a indiqué que l'eau utilisée pour combattre l'incendie avait créé des zones difficilement praticables à pied.

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada a annoncé avoir déployé une importante équipe d'intervention. En soirée, elle a ajouté avoir retrouvé la boîte noire du convoi ferroviaire.

Environ 2000 des 6000 habitants de la ville avaient été évacués samedi, mais plusieurs d'entre eux ont pu rentrer chez eux en milieu de journée, dimanche. Quelque 160 d'entre eux ont passé la nuit de samedi à dimanche à la polyvalente Montignac, transformée en centre d'hébergement par les équipes de la Croix-Rouge. Au moins autant comptaient faire de même dimanche soir.

Condoléances des politiciens

Un peu comme dans un salon funéraire, les élus se sont succédé, dimanche, pour exprimer leurs condoléances et leur appui à la petite ville.

Après sa courte incursion en zone dévastée, M. Harper s'est dit anéanti par ce qu'il avait vu. «C'est vraiment comme un site de guerre. C'est incroyable. C'est difficile d'imaginer avant d'être ici, a-t-il affirmé. C'est un secteur énorme. Trente bâtiments complètement détruits - incinérés, en fait.»

Le premier ministre a refusé de répondre directement aux questions sur l'augmentation du transport de matières dangereuses par train, ou encore sur les sanctions qui pourraient être imposées à la Montreal, Maine and Atlantic Railroad (MMA), qui affrétait le convoi.

Le ministre Christian Paradis, qui est aussi député de la circonscription de Mégantic-L'Érable, s'assurera que la communauté recevra toute l'aide dont elle a besoin pour se reconstruire, a aussi promis Stephen Harper, en lançant un sourire entendu à son collègue. Pour l'instant, les lois canadiennes prévoient un appui financier d'urgence pour la ville.

Contrairement à son vis-à-vis aux Communes, Thomas Mulcair n'a pas hésité à aborder la question politique au centre de la tragédie: la réglementation du transport de matières dangereuses. «Il y a beaucoup de questions, et c'est notre rôle en tant qu'opposition officielle de les poser, a-t-il affirmé à son arrivée à Lac-Mégantic. Légitimement, les gens vont vouloir savoir ce qui s'est passé et ce qu'on peut faire dans l'avenir pour éviter que ça ne se reproduise.»

Le bureau du premier ministre a qualifié de «grossièrement inappropriés» les commentaires de M. Mulcair.

- Avec David Santerre