«Choqué» des révélations de la commission Charbonneau et «blessé» d'être montré du doigt, l'ex-maire Gérald Tremblay a mis fin à son témoignage en affirmant qu'aucun maire n'aurait pu mettre au jour la collusion comme l'a fait l'escouade Marteau.

Visiblement ému, Gérald Tremblay s'est adressé aux commissaires avant de mettre fin à son témoignage. Il s'est à nouveau défendu d'avoir fait preuve d'aveuglement volontaire. 

«Je suis aussi choqué que vous des révélations faites devant la Commission. Des entrepreneurs et des ingénieurs ont mis sur pied un système par cupidité», s'est-il désolé.

Selon lui, seuls les policiers pouvaient empêcher la mise en place d'un tel système.«J'affirme qu'aucun maire n'aurait pu mettre au jour la collusion comme l'a fait l'escouade Marteau», a-t-il déclaré.

«Il est très blessant, souverainement injuste, que des gérants d'estrade profitent de leur tribune pour faire des commentaires désobligeants», a-t-il dénoncé. Ému, il a estimé que «la Commission peut donner un nouveau départ pour Montréal».

Cap sur la couronne nord

Après avoir tourné la page sur Montréal, la commission Charbonneau se penchera sur la couronne nord de la métropole. Le prochain témoin entendu sera Gilles Cloutier, organisateur politique qui a admis avoir fait du financement politique occulte dans cette région.

L'homme de 73 ans a reconnu lors d'une entrevue à Enquête avoir participé à l'organisation d'élections au nord de Montréal alors qu'il travaillait au développement des affaires pour la firme de génie Roche.



Le nom de Gilles Cloutier a été évoqué à quelques reprises. L'ingénieur Michel Lalonde a notamment affirmé qu'il avait par son intermédiaire versé 3000 $ à Marcel Jetté pour sa campagne à la mairie de Sainte-Julienne. Rosaire Sauriol a aussi admis avoir embauché Gilles Cloutier pour développer les affaires de Dessau dans la couronne nord. L'aventure n'a toutefois pas été un succès, selon le témoin.

Par ailleurs, la Commission a annoncé que la décision des accusés dans l'affaire du Faubourg Contrecoeur d'avoir un procès devant un juge seul permet de lever l'essentiel des ordonnances de non-publication qui frappaient ce dossier. En effet, l'interdit de publication avait été imposé pour éviter de nuire à la composition d'un jury.

Tremblay refuse de condamner Zampino

Plus tôt aujourd'hui, l'ex-maire Gérald Tremblay a refusé de condamner son ancien bras droit à la Ville de Montréal malgré les révélations faites devant la commission Charbonneau. Il refuse de croire que Frank Zampino ait pu être influencé lors d'un appel d'offres.

La procureure Sonia LeBel est revenue ce matin sur la vente des terrains Marc-Aurèle-Fortin, dans l'arrondissement de Rivières-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles. L'ex-directeur aix stratégies et transactions immobilières de Montréal, Joseph Farinacci, a affirmé que Frank Zampino, mécontent de voir qui avait remporté un appel d'offres, lui avait affirmé que, pour le prochain, «c'est au tour de Petra».

Gérald Tremblay a refusé de commenter les agissements de son ancien bras droit alors qu'il était à la tête du comité exécutif de la métropole. «Aujourd'hui, assis ici en avril 2013, vous pensez encore que c'est impossible d'influencer l'octroi d'un contrat ?» lui a demandé Me LeBel.

«Il se peut que des gens d'affaires aient pu influencer Frank Zampino, mais ce n'est pas arrivé», a d'abord répondu l'ex-maire.

«Vous n'êtes pas sérieux, avec tous les témoignages que vous avez entendus devant la Commission. Vous croyez alors que les gens sont venus mentir ?» s'est indignée la juge Charbonneau.

Gérald Tremblay a fini par admettre comme une «évidence» qu'un système occulte s'était mis en place pour truquer les appels d'offres à Montréal.

«On est contents de vous l'entendre dire parce que ça ne semblait pas clair dans votre esprit», a alors souligné France Charbonneau.

«C'est parce que vous faites le lien avec des personnes qui sont venues dire le contraire ici, à la Commission, et vous me demandez, à moi, de faire votre travail pour dire c'est qui le responsable de quoi.»

«On ne vous demande pas de faire notre travail», a rétorqué la juge.

«C'est un peu ça. Si vous avez tiré d'avance la conclusion que Frank Zampino...»

«On n'a tiré aucune conclusion», a tenu à rectifier Mme Charbonneau.



Éthique


L'ex-maire a de plus reconnu qu'il était de «renommée» que des élus étaient invités dans les loges du Centre Bell pour assister à des spectacles ou à des parties de hockey. Lui-même dit avoir accepté peu d'invitations, par prudence.

Gérald Tremblay ne voit pas de problème à ces invitations si les élus ne se laissent pas influencer. «Je prends pour acquis que les élus font la part des choses.»

Encore aujourd'hui, le code d'éthique des élus n'interdit d'ailleurs pas d'accepter des invitations dans les loges d'entreprises, mais il leur impose de signer une déclaration.



Trop occupé

Gérald Tremblay ne s'est pas occupé des démarches entreprises en 2005 pour faire baisser le coût des chantiers à Montréal, car il était trop préoccupé par le sauvetage des championnats du monde de natation de la FINA, a-t-il en outre expliqué.

En 2004, la Ville de Montréal a produit un rapport alarmant sur les coûts des chantiers à Montréal. On y constate que le marché est fermé, un important signe de collusion. L'ex-maire dit qu'il n'a jamais été mis au courant de ce document, dont il n'aurait pris connaissance que huit ans plus tard, en 2012. 

«Vous n'étiez pas dans une tour d'ivoire, vous deviez avoir des échos?», s'est étonnée la juge France Charbonneau. «Non, je n'ai pas eu d'échos», a répondu le témoin. 

Gérald Tremblay a simplement été avisé en février 2005 qu'un service recommandait l'embauche d'une firme, Macogep, pour évaluer le coût des chantiers. L'objectif était d'économiser de 40 à 45 millions. «Le mot "collusion" n'a jamais été mentionné au moment d'accorder le contrat», a toutefois tenu à souligner aujourd'hui l'ex-maire.

En parallèle, un comité stratégique a été mis sur pied pour étudier les façons d'«optimiser» l'adjudication des contrats. Contrairement à ce qu'a affirmé le témoin Serge Pourreaux, Tremblay soutient qu'il n'a jamais siégé à ce groupe de travail. Il y a plutôt délégué son bras droit, Frank Zampino.

Mais voilà, l'ex-président du comité exécutif ne l'a informé que de façon «très limitée» sur les travaux. L'ex-maire admet d'ailleurs qu'il n'a pas pris l'initiative de le questionner à ce sujet.

Au moment où les premiers signaux d'alarme sur la collusion ont été rapportés à son administration, Montréal risquait de perdre la présentation des championnats du monde de natation de la FINA. Gérald Tremblay dit qu'il a fait de ce dossier sa priorité. «Ma préoccupation première, c'était celle-là. J'étais moins présent à l'hôtel de ville jusqu'en juillet 2005. J'ai pris pour acquis qu'il y avait un comité en place et M. Zampino en avait la responsabilité.»

«Je comprends, mais le but est d'économiser de 40 à 45 millions. Ce n'est pas rien», lui a souligné la juge Charbonneau.

«C'est beaucoup d'argent, mais il faut relativiser. Sur 1 milliard d'achats, c'est 3%», a rétorqué l'ex-maire.

Cependant, après le championnat de la FINA, les signes ont continué à se multiplier. En décembre 2005, le comité exécutif a d'ailleurs commandé une nouvelle étude sur le coût des chantiers. Tremblay admet qu'il n'a pas fait de suivi, estimant que d'autres auraient dû le faire. «Je prends pour acquis que les personnes qui ont la responsabilité font le suivi», a-t-il expliqué.

«Si je vous comprends bien, parce qu'on ne vous a jamais rien dit, vous n'avez pas cherché à savoir, ce n'était pas de votre responsabilité», lui a alors lancé la juge Charbonneau.

Les nombreux aveux d'ignorance de l'ex-maire ce matin ont surpris la présidente de la commission d'enquête. «Vous aviez tout devant vous pour aller vérifier en profondeur. Au moins en 2006, vous aviez tout sur la table pour vérifier. Pourquoi vous ne l'avez pas fait?»

«Honnêtement, c'est en 2009 qu'on avait tous les éléments», s'est-il défendu.

Rencontre inutile

Par ailleurs, Gérald Tremblay a jugé «totalement inutile» la rencontre entre Claude Léger, Frank Zampino et Rosaire Sauriol au Club privé St-Denis. Il a soutenu que, la veille, il avait lui-même rencontré l'ex-directeur général en compagnie de l'ex-président du comité exécutif et qu'ils lui avaient fait comprendre que le poste lui était acquis. Celui-ci n'avait pas à rencontrer son ex-bras droit de nouveau dans un chic établissement en compagnie d'un ingénieur. «Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça.»

Gérald Tremblay a aussi catégoriquement nié que l'ex-directeur de l'Unité anticollusion, Jacques Duchesneau, l'ait mis en garde contre quatre personnes de son entourage. Il affirme qu'il lui a simplement suggéré un nouvel organigramme pour améliorer le processus d'adjudication des contrats.