Le gouvernement leur avait versé de l'argent en trop pour du matériel jamais livré. Les employés de la firme Informatique EBR ne savaient pas ce qu'il fallait en faire. Leur patron, lui, semblait le savoir, lorsqu'il a écrit à une responsable de la paye : « Bonjour Sylvie, j'aimerais que tu verses sur ma prochaine paie de ce mercredi 40 000 $ sous forme de bonis ou commissions. »

Voilà l'analyse des enquêteurs de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) exposée dans de nouveaux documents judiciaires obtenus par La Presse. Les documents ont été déposés au tribunal en décembre pour obtenir une ordonnance afin de forcer la Banque Nationale à transmettre des informations bancaires relatives à Informatique EBR.

Les nouvelles allégations des policiers n'ont pas été testées en cour, et pour cause : le procès de l'ancien dirigeant d'Informatique EBR Mohamed El-Khayat et de l'ancien cadre du ministère de la Sécurité publique Abdelaziz Younsi, accusés de complot, fraude et abus de confiance, est suspendu jusqu'en avril. Un seul témoin a été entendu depuis l'ouverture en décembre.

Un crédit jamais utilisé

La théorie générale de la poursuite était déjà connue. El-Khayat et Younsi auraient été de mèche pour favoriser EBR dans l'octroi d'un contrat de vente d'ordinateurs de 3,3 millions.

Pour remporter l'appel d'offres, EBR vendait ses ordinateurs moins de 1000 $ l'unité. Mais ce prix compliquait la transaction, puisque les règles comptables du Ministère interdisent d'amortir sur plusieurs années les achats de moins de 1000 $.

M. Younsi aurait donc proposé de gonfler artificiellement les factures à plus de 1000 $ en échange d'un crédit qui serait accumulé par le gouvernement chez EBR, pour utilisation future.

Le crédit aurait atteint environ 400 000 $, mais n'a jamais été utilisé par le gouvernement. Jusqu'ici, on ignorait ce qu'il était advenu de la somme versée en trop par le Ministère.

Appropriation des fonds

Or une nouvelle analyse de la double comptabilité d'EBR et des courriels échangés pousse la police à croire que Mohamed El-Khayat s'est approprié une bonne partie de l'argent.

« J'ai des motifs raisonnables et probables de croire que des sommes ont été prélevées [...] à des fins d'appropriation par Mohamed El-Khayat », écrit le sergent Jean-Frédérick Gagnon dans les nouveaux documents déposés à la cour.

Il cite notamment les échanges de courriels de M. El-Khayat, qui a demandé à ses employés le bilan du crédit accumulé, puis a demandé à ce que 40 000 $ y soient puisés pour être versés en « profits », avant de demander à un autre employé de verser 40 000 $ sur sa paye sous forme de « bonis ou commission ».

Au total, près de 90 000 $ auraient été puisés dans la marge de crédit du gouvernement « à des fins autres que celles auxquelles elles étaient destinées ».